Par Roland Borghini

Testarossa : un V12 et pas un Boxer

Le talent est évidemment un don. Mais il est aussi le résultat d’un immense travail. Il exige une remise en cause modeste et quasi permanente, quelles que soient les capacités et les vertus de son heureux détenteur. Enzo Ferrari n’a jamais eu qu’une hâte. Qu’un seul objectif obsessionnel. Etre le premier et surtout le rester. Il sait bien qu’il a créé les plus belles autos de l’histoire de l’automobile. Mais il ne se contentera jamais des regards enamourés de ses afficionados pour satisfaire ses envies de puissance. Toujours dans « le coup d’après », il veut révolutionner sa BB. Frapper un grand coup sur la table des super cars. Il va donc une nouvelle fois s’adresser à son fidèle partenaire designer Pininfarina depuis 1952 pour dessiner la Testarossa. « Tête rouge », c’est le nom qu’avait reçu une certaine 250 à moteur V12 Colombo (l’ingénieur pas le lieutenant) lorsqu’elle rafla la mise sur les circuits de F1 dans les années 70. Un sobriquet attribué par les mécanos à cause de la couleur de ses culasses. Le cahier des charges pour ce nouveau monstre est très clair. Le patron veut plus de puissance, plus d’habilité et plus de confort. Leonardo Fioravanti, chef designer chez celui qu’on surnomme affectueusement « Pinin », fait travailler son équipe d’arrache-pied. « On ne parle jamais d’eux, mais il y a là des vedettes du design : Ian Cameron, Guido Campoli, Diego Ottina, Emanuele Nicosia explique-t-on chez Ferrari, ils méritent tous notre considération, notre admiration même », car le dessin de la Testarossa qu’ils élaborent, est révolutionnaire. Basse, large de deux mètres, agressive, fluide, la « Testa » est aussi fine et aplatie du nez avec ses phares escamotables. Large de l’arrière, mais effilée sur ses flancs percés d’ouïes – griffures stylisées presque bestiales – elle génère une dynamique fabuleuse qui part de la pointe de son nez jusqu’à son arrière aux fesses presque busquées. On a du mal à croire que l’auto a été conçue sur la base du châssis de la BB. Elle reprend d’ailleurs aussi le fabuleux moteur 12 cylindres en V ouvert à 180 ° (qui n’est définitivement pas un 12 à plat, appellation facile, ne correspondant en rien à la véritable structure mécanique, répétée à l’envie par des ignorants et confondue avec le véritable « boxer » flat 12 des Porsche 917)  placé longitudinalement en position centrale arrière qui n’aura jamais chaud grâce aux radiateurs latéraux alimentés par les désormais célèbres griffures de côté. On note un porte à faux arrière incroyablement court. Une spécificité obtenue grâce au positionnement de la boite de vitesse sous le moteur. Toute la carrosserie est évidemment réalisée en aluminium. Sauf les portes et le pavillon qui sont en acier. A l’intérieur c’est un peu décevant. Certes les sièges semblent accueillants (on les surnommera à terme les « carpaccio de cuir », tant la finesse de leur couverture résistera mal aux assaut du temps) mais ni les compteurs, ni la finition, ne sont à la hauteur de la classe de l’auto et encore moins de son prix.

FERRARI TESTAROSSA

 Qu’importe, la célèbre grille de boite de vitesse n’a pas été oubliée. Et derrière les strictes deux places de cette « voiture d’égoïste » il y a le moteur de toutes les convoitises. Le cœur du monstre. Car le V12 de la « Testa », à part sa structure, n’a plus grand-chose à voir avec celui de la BB, sa grande sœur. Certes son V est toujours ouvert à 180° – il reprend d’ailleurs les bases d’un célèbre moteur de compétition qui fit les beaux jours de la compétition notamment aux mains de Jacky Ickx – sa cylindrée de 4942 cm3 reste la même, son carter sec aussi, mais ce sont les culasses qui font la différence. Elles sont désormais à 4 soupapes par cylindre. Moulées dans un alliage d’aluminium innovant et évidemment animées par 4 arbres à cames. Il faut bien ça pour réveiller la salade des 48 soupapes. Le tout respire fort grâce à un système d’injection mécanique KE-Jetronic signé Magnetti Marelli. L’ensemble sort 390 ch à 6300 tr/mn. « Ce 12 cylindres est un rêve et tourne sans vibration, explique Christophe Decronembourg de Eliandre Automobile, c’est un enchantement sonore, car sa musique est unique comme sa linéarité. Ça pousse dans le dos à toutes les phases sans coup de pieds. Techniquement, « toucher le rouge » en première vitesse peut vous faire perdre 2 points sur la nationale. En seconde, elle vous déposera directement au poste. Ne parlons pas des autres rapports qui s’enchainement à merveille lorsque la boite de la Testarossa est à température et que votre pied droit s’est habitué à écraser l’embrayage qui n’est pas sans rappeler celui des 911 en fin de vie ». Bref, cette voiture est un rêve. Qui peut vous emmener au paradis ou en prison car elle est capable de monter jusqu’à 290 km/h. Un saint graal qui nécessite – comme l’exige souvent la gestion des divas – les précautions d’usage si d’aventure on caresse l’espoir de s’en offrir une.

Un vrai budget à l’entretien

Même si la Testarossa est moins recherchée que les modèles améliorés/dérivés qui lui succéderont 512M et 512 TR, une Testarossa coûte tout de même la bagatelle somme de 100.000 €. 120.000 et plus s’il s’agit du rare modèle dit monospecchio fabriqué à très peu d’exemplaires et équipé d’un unique rétroviseur et de jantes à moyeux centraux. A cette facture d’achat il faudra ajouter les changements des courroies qui doivent avoir lieu tous les 3 ou 4 ans. Cette opération compliquée nécessite la dépose du moteur et le changement de la pompe à eau. Elle est facturée un minimum de 5.000 €. Pensez aussi aux frais de remplacement de l’embrayage qui peuvent s’élever à 2500 €, au boitier de différentiel fragile ou aux synchros de boite de vitesse… Jetons un voile pudique sur les problèmes électriques inhérent aux modèles italiens GT des années 80-90. Ils sont légion. Ne parlons pas non plus des pneus de la première série, les célèbre Michelin TRX associés à des jantes uniques et introuvables.   240/45R415 à l’avant et 280/45R415 à l’arrière vous seront facturés autour de 500 € pièce. 2000 € les quatre chaussettes, c’est presque le prix d’une Twingo hors d’âge. On la dit et répété maintes fois, « le prix s’oublie et la qualité reste ». La Testarossa c’est une voiture unique en son genre. Un mythe roulant. Même si elle vous ruine en entretien, vous ressentirez à son volant ce goût étrange qui tend à disparaître (et que le soi-disant modernisme veut barrer de nos cerveaux), l’ivresse du plaisir-passion. Et le bonheur n’a pas de prix. RB

Partagez cet article