Par Roland Borghini

Le premier V6 de série

Ce n’est pas de gaîté de cœur que le Commandatore annonce un beau jour de 1964 à ses ingénieurs, Vittorio Jano, Franco Rocchi, et Carlo Chiti, qu’ils devront plancher sur une voiture plus accessible et un demi V12. A Modène, comme chez quelques rares esthètes, on ne vit que pour la rareté, l’élégance, l’exclusivité et surtout, les moteurs avant. Pourtant, le patron connait bien « les petites autos ». Il en fait même courir quelques-unes avec des moteurs V6 en compétition. Des barquettes à moteur central arrière qui portent le nom de Dino, le fils de Ferrari emporté prématurément par une maladie dégénérative. Il y a la 166P et la Dino 206SP. La firme les aligne régulièrement dans des épreuves d’endurance.

C’est sur la base du châssis de la deuxième qu’Enzo Ferrari demande au carrossier Pininfarina de réaliser un prototype d’une petite « GT» capable de rouler très vite sur route. Une nouvelle fois, le Commandatore ne va pas être déçu par le travail de son styliste préféré. Il faut dire que « Pinin », comme le surnomment respectueusement ses équipes, laisse le soin à un jeune designer fraichement nommé de gérer le projet.

Ferrari 246 GTB

 Leonardo Fioravanti n’a que 26 ans et il a déjà un diplôme d’ingénieur en génie mécanique de l’école polytechnique de Milan en poche, avec une spécialisation en conception de carrosserie et aérodynamique. Il sort donc un dessin peu ordinaire tout en courbe, considéré comme d’avant-garde. La face avant intègre des phares sous bulle de plexiglas. Sa calandre, très basse, avance comme une moue de poisson presque prognathe. C’est une révolution. A l’arrière, la lunette concave fait aussi causer. Le moins que l’on puisse dire c’est que la Dino 206 P Berlinetta Speciale présentée au salon de Paris en 1965 ne laisse pas indiffèrent. Comme prévu, c’est un châssis issu de la compétition qui porte cette incroyable carrosserie. « Ce sont les chevaux qui tirent la charrue », personne n’a oublié la devise favorite du patron qui justifie son amour pour les moteurs avant. C’est pourtant un V6 placé en position centrale arrière et longitudinale qui équipe la nouvelle petite Ferrari qui porte le nom de Dino. Non pas qu’elle n’aurait pas mérité aux yeux d’Enzo le scudetto du cheval cabré Ferrari. Mais le patron veut lancer une gamme spécifique, plus abordable, avec une implantation mécanique nouvelle.

Le Commandatore n’aime pourtant pas les moteurs arrières. Il pense même qu’ils peuvent être dangereux. Celui-là est un 1987cm3 et sort une puissance de 218 cv aidé par une injection Lucas. Il est relié directement aux roues arrières par une boite 5 vitesses. Cette  speciale n’est qu’un prototype. Elle va donc servir de base à la 206 GT qui verra le jour un an plus tard. Cette fois la ligne est plus fine. La bouche de poisson a disparue. L’observateur avisé la retrouvera presque à l’identique à l’avant de la Fiat Dino Spider. (Amateur de cinéma, ne ratez pas les aventures de cette belle auto, dans sa livrée bleue, dans Le petit baigneur avec Louis de Funès.)

Sur les platebandes de Porsche

Le moteur est toujours un V6 à 65° en alliage, 2 arbres à came en tête. Un peu moins puissant, Il parvient cependant à propulser la 206 à une vitesse de 230 km/h. La 206 est une licorne. Elle ne sera produite qu’à 150 exemplaires. Qu’importe, Enzo Ferrari a bien vu qu’on pouvait marcher sur les platebandes de Porsche, dont le succès de la 911 énerve. Il ne faut jamais agacer les patrons. Surtout lorsqu’ils sont des héros charismatiques. Ce qui est plutôt rare. Ferrari décide alors de sortir le grand jeux en équipant sa berlineta d’un nouveau V6. Un 2.4l qui frôle cette fois les 200 ch. Il chante très haut à 8000 tr/min la symphonie du bonheur et est capable d’emmener la Dino à 240 km/h de 0-100 km/h en 7,4 secondes ! C’est mieux que les Porsche. La tenue de route est très bonne pour l’époque. Et pour couronner le tout, la production de la série télé « Amicalement vôtre », choisit d’offrir à un de ces héros – Danny Wilde interprété par Tony Curtis – une Dino 246 GT S, le modèle découvrable. Il fait équipe avec Brett Sinclair interprété par Roger Moore qui lui, conduit une Aston Martin DBS beaucoup moins sexy. C’est un carton. Les ventes de la Dino explosent. Et on ne compte plus les propriétaires qui « re-badgent » la voiture au nom de la maison mère. Une fois de plus, Enzo a réussi son coup et il va vendre plus de 3700 exemplaires de Dino 246 GT. Il a surtout mis la main sur un type d’auto qu’il va s’employer à développer dans le futur en marquant l’histoire de l’automobile à grand coup de modèles mythiques. 50 ans plus tard, les 206 sont introuvables, les 246 sont rares et adulées. Sujettes à la corrosion, il est quasiment impossible d’en croiser une non restaurée. Etant donné leur valeur sur le marché, elles ont en général toutes été bien restaurées. Il est rare de trouver une Dino 246 GT à moins de 300.000 €, avec des pointes à 470.000 € en GTS.

RB   

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